Atlas de restauration des rives du Saint-Laurent - Description des thématiques
- Augmentation de l’accessibilité des plaines inondables pour le poisson
- Démantèlement de remblais
- Stabilisation de rives en érosion
- Récupération de marais à spartines endigués par des aboiteaux
- Mise en place de seuils sur des canaux de drainage asséchant des marais à spartines
- Création d’ouvertures dans des marais émergents d’eau douce trop fermés
- Aménagement pour la sauvagine de plans d’eau artificiels existants
- Plantation de zostère marine
- Végétalisation de berges enrochées
- Végétalisation de milieux dunaires perturbés
- Plantation d’arbres et d’arbustes dans des espaces verts anthropiques
- Plantation d’arbres et d’arbustes en milieux agricoles
- Contrôle d’espèces végétales envahissantes dans les milieux humides
Augmentation de l’accessibilité des plaines inondables pour le poisson (mise en place de ponceaux, adoucissement des berges, enlèvement de sédiments dans des cours d’eau…)
La présence de barrières artificielles, telles que des routes, des amas de sédiments, des ponceaux mal conçus au niveau de certains cours d’eau peut modifier sérieusement l’hydrologie d’un marais au point de transformer radicalement la végétation aquatique initialement présente sur le site au profit, par exemple, d’une végétation plus xérique. Un ralentissement de l’écoulement de l’eau, qui résulte souvent de la présence de ces différents éléments, risque en plus d’entraîner l’eutrophisation du milieu situé derrière. De même, les barrières artificielles, tout comme les berges trop abruptes de certains cours d’eau, peuvent limiter l’accès aux plaines inondables normalement utilisées comme aires d’alimentation ou de fraie par les poissons. Aussi, les plaines inondables peuvent, à l’occasion, devenir de véritables trappes pour la faune aquatique qui s’aventure dans les milieux endigués lors des crues printanières ou des grandes marées d’équinoxes.
Démantèlement de remblais
Le fleuve Saint-Laurent a subi de nombreuses transformations depuis le début du siècle dernier. L’une des conséquences indirectes de l’urbanisation fut la popularité croissante de la villégiature et des activités de plein air qui, par le fait même, a entraîné une appropriation intempestive des berges par des marinas et des quais de tout acabit. Le mouvement d’industrialisation gagna aussi les rives du Saint-Laurent. Des usines ont été construites en périphérie des zones urbaines. Plusieurs s’implantèrent en bordure du Saint-Laurent afin de profiter de l’accès à une voie navigable et de la présence d’un plan d’eau pour éliminer certains de leurs résidus.
L’ouverture de la voie maritime a eu une multitude de conséquences directes et indirectes sur toute la vie du fleuve. Elle a entraîné la disparition du cabotage par les bateaux à faible tirant d’eau. Les petits quais de village qui accueillaient les goélettes, ont alors été laissés à l’abandon (Robitaille et al., 1988). D’autres installations portuaires se sont implantées dans les grands centres ou ont été agrandies afin de recevoir davantage de navires. Certaines d’entre elles ont dû par la suite être abandonnées devant le peu d’achalandage, les frais élevés d’entretien ou une détérioration de leurs infrastructures nécessitant des coûts astronomiques pour leur remise en état.
L’utilisation et l’entretien du chenal de navigation a nécessité au fil des ans l’utilisation de nombreuses bouées et estacades. Des épis ou des digues ont été construits de façon à concentrer l’écoulement dans la portion navigable du fleuve. Certaines de ces structures sont aujourd’hui à l’abandon. Il en est de même de nombreux remblais qui ont été utilisés à de multiples fins, mais qui ne retrouvent plus aujourd’hui leur vocation d’antan. Toutes ces structures, en empiétant sur les rives du fleuve, réduisent les superficies d’habitats disponibles pour la faune.
Stabilisation de rives en érosion
Les différentes activités de remblayage, de drainage et d’empiétement dans le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent nous ont fait perdre environ 5000 ha d’habitats durant la période s’échelonnant de 1950 à 1980 (Le Groupe Dryade, 1981). Même si la destruction d’habitats imputable à ces activités humaines n’est plus aussi importante aujourd’hui que dans les années 1990, il semble que les pertes d’habitats se poursuivent à un rythme inquiétant, principalement à cause d’un phénomène dont l’ampleur était sous-estimée jusqu’à ce jour, soit l’érosion des rives.
Les travaux réalisés dans le cadre du Programme Saint-Laurent Vision 2000 ont permis d’inventorier près de 400 km de rives érodées dans le seul tronçon compris entre Cornwall et Montmagny, soit 25 % des rives du tronçon étudié (+marais Rivière-du-Loup). La sévérité de l’érosion est à ce point importante à certains endroits qu’on y enregistre des reculs de talus pouvant atteindre au-delà de trois et même quatre mètres par année (Dauphin et Lehoux, 2004). On estime avoir perdu de cette façon quelque 1000 ha de milieux insulaires au cours des 35 dernières années. C’est particulièrement dans la section comprise entre Montréal et le lac Saint-Pierre que cette érosion est la plus prononcée, puisque 270 km de rives en érosion y ont été recensées (Les Consultants en environnement Argus inc., 1996a). Cette situation s’explique en grande partie par le fait que cette section est très étroite, ayant souvent moins de 3 km de largeur, et qu’elle est parsemée à certains endroits de nombreux canaux. L’étroitesse du secteur accentue ainsi les effets du batillage des bateaux commerciaux et de plaisance.
Les travaux réalisés plus en aval révèlent que ce phénomène est aussi présent dans les marais à scirpes et à spartines de l’estuaire, ainsi que le long de bon nombre de tributaires. Certaines études ont déjà rapporté des taux de recul du microtalus du marais supérieur de Rivière-du-Loup de 1,6 à 4,6 m/an durant la période comprise entre 1967 et 1995 (Dionne, 1986; Les Consultants en environnement Argus inc., 1996b). On a enregistré des reculs variant cette fois de 0,25 à 1,5 m/an pour le marais du cap Tourmente sur une période de près de 25 ans, soit entre 1964 et 1990 (Lehoux et al., 1997).
Si rien n’est fait dans les prochaines années pour tenter de mettre un frein à ce problème ou à tout le moins pour en réduire l’ampleur, on pourrait s’attendre, par exemple, à la disparition de certaines îles du tronçon fluvial, telles que les îles de la Paix, et éventuellement des 240 ha de marais qui les ceinturent d’ici 20 ans, à celle des îles Bellegarde, aux Boeufs et aux Prunes, dans l’archipel de Verchères, d’ici respectivement 10, 25 et 30 ans et à celle des îlots Lacroix et de l’île Chipeau, dans l’archipel de Contrecoeur, d’ici 10 à 15 ans. On peut également prévoir, dans les années qui suivront, la réduction notable de plusieurs dizaines d’hectares de marais que ces îles sécurisent présentement et la disparition, d’ici quelques décennies, de marais à spartines.
Les chercheurs qui ont travaillé sur le Saint-Laurent identifient plusieurs facteurs comme causes possibles de l’érosion des rives dans sa portion dulcicole soit : le batillage, les vagues de vent, les glaces, les courants, le gel, le pâturage et le drainage de surface (Department of Public Works, 1968; D’Agnolo, 1978; Ouellet et Baird, 1978; Panasuk, 1987; Dauphin et Lehoux, 2004). L’érosion peut aussi être intensifiée par des niveaux d’eau particulièrement élevés, par une rive au profil accentué, une exposition aux vents dominants, l’absence de végétation riveraine aux abords ou sur le talus et un substrat moins cohésif. Il va de soi que l’importance de chacun de ces facteurs dans le processus d’érosion variera d’un endroit à l’autre et qu’ils pourront souvent agir en synergie, rendant de ce fait plus difficile l’évaluation exacte du rôle de chacun dans le processus de recul des rives. Toutefois, on reconnaît que dans la portion dulcicole du Saint-Laurent, les vagues de vent et les vagues générées par le passage des navires, figurent parmi les facteurs les plus importants, notamment lorsque prévalent des niveaux d’eau élevés.
Récupération de marais à spartines endigués par des aboiteaux
Les marais à spartines ont, au cours des siècles, été convoités par les agriculteurs. Déjà, au début de la colonie, les propriétaires des terres bordant ces marais avaient le droit de couper et de sécher le foin de grève qui s’y trouvait. Au milieu du 19e siècle, soit en 1860, l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière érigeait le premier aboiteau de la région. Cet aboiteau, constitué de digues avec clapets combinées à un réseau de canaux de drainage, couvrait quelque 500 m de longueur et permettait d’assécher le marais à spartines tout en y empêchant l’intrusion quotidienne d’eau salée. Dans les décennies qui suivirent, et ce, jusqu’au début des années 1980, cette pratique s’est intensifiée au point qu’environ 35 % des marais à spartines du Saint-Laurent, soit l’équivalent de quelque 1500 ha, ont été endigués à des fins agricoles. Les pertes les plus marquées ont été notées dans les secteurs de Kamouraska et de La Pocatière. Les pertes de marais à spartines imputables à l’agriculture expliquent en partie le fait que, de nos jours, la zone à spartine étalée n’occupe plus au Québec que quelques centaines d’hectares.
Les marais à spartines abritent plus de 80 espèces d’oiseaux, dont au moins quatre espèces à statut précaire : le Râle jaune, le Bruant de Nelson, le Hibou des marais et le Petit Blongios. Ces marais constituent l’habitat de prédilection du Canard noir en période de reproduction. En été, il n’est pas rare d’apercevoir des femelles avec leurs canetons en train de s’alimenter de graines et d’invertébrés dans les marelles de la zone à spartine étalée. De temps à autre, 12 espèces de mammifères tirent aussi profit de ces milieux. Un visiteur attentif et patient pourra, à l’occasion, y épier un Cerf de Virginie ou un Orignal. Des rencontres fortuites avec un Raton laveur, un renard ou un Coyote en quête d’une nourriture saisonnière composée d’œufs, d’oisillons ou de petits mammifères, sont aussi possibles. Quant aux poissons, près d’une vingtaine d’espèces fréquentent la zone de marées, dont une douzaine, le marais intertidal (Dutil et Fortin, 1983). Le marais à spartines est une véritable fabrique de nourriture. On estime à trois ou quatre tonnes par hectare la quantité de matières organiques qui est annuellement exportée par le jeu des marées et qui bénéficie aux communautés estuariennes. On y trouve une faune diversifiée et abondante. Dans certaines régions des États-Unis, on évalue que 75 % des espèces de poissons qui font l’objet d’une pêche commerciale ou sportive dépendent, à un moment ou l’autre, du marais intertidal.
L’endiguement des marais à spartines à des fins agricoles (cas des marais endigués, mais non encore transformés à des fins agricoles) engendre de multiples impacts dont :
- la création d’une barrière physique qui limite les échanges avec le milieu ambiant par le jeu des marées et qui diminue les quantités de matières organiques exportées qui contribuent à la chaîne alimentaire de l’estuaire;
- la transformation graduelle du milieu humide en milieu plus sec et disparition des espèces végétales typiques du marais;
- la disparition des marelles;
- la disparition de sites d’alimentation pour de nombreuses espèces d’oiseaux;
- la disparition d’habitats de reproduction pour le Canard noir;
- la disparition de sites de fraie pour les Gasterosteidae et de sites d’alimentation pour bon nombre d’autres espèces;
- la disparition de sites de nidification d’au moins trois espèces d’oiseaux en péril : le Râle jaune, le Bruant de Nelson et le Hibou des marais, dont une espèce à répartition limitée, le Bruant de Nelson;
- la diminution de la capacité régionale d’épuration des marais;
- la diminution locale de la biodiversité.
La région côtière comprise entre Kamouraska et L’Isle-Verte regroupe encore plusieurs dizaines d’hectares de marais endigués (non transformés par l’agriculture) et où les fonctions originales ont été perturbées (Les Consultants en environnement Argus inc., 1998). Ces marais pourraient être récupérés en permettant à nouveau la circulation d’eau dans ces marais par ex. en créant des ouvertures dans les digues.
Mise en place de seuils sur des canaux de drainage asséchant des marais à spartines
Les endiguements à des fins agricoles effectués dans l’estuaire maritime au cours du siècle dernier, ont entraîné des répercussions importantes sur les marais à spartines situés en périphérie des aboiteaux (structure composée d’une digue empêchant l’intrusion de l’eau salée sur les terres agricoles récupérées à même les marais à spartines, de canaux de drainage et d’une structure d’évacuation des eaux de drainage). En effet, pour que les aboiteaux puissent drainer efficacement les terres agricoles, les cultivateurs doivent prolonger les canaux de drainage à l’extérieur même des aboiteaux,i.e. jusque dans le marais résiduel devant l’aboiteau (et ce, jusque dans les marais avoisinants). Cette pratique abaisse la nappe phréatique sur une dizaine de mètres de part et d’autre des canaux de drainage (Bélair, 1990), tout en modifiant la couverture végétale du marais naturel ne permettant, à certains endroits, qu’à quelques espèces vasculaires, telles la salicorne d’Europe et la spergulaire du Canada, d’y pousser. Il en résulte une diminution de la biodiversité locale.
Un autre effet pervers des canaux de drainage est l’assèchement de centaines de marelles avoisinantes et la disparition par le fait même de la ruppie maritime et de nombreux invertébrés qui lui sont associés. L’assèchement de ces petits plans d’eau entraîne ainsi une diminution importante de sites d’alimentation recherchés par certains oiseaux de rivage comme le Bécassin roux, le Bécasseau maubèche, la Bécassine des marais, le Grand et le Petit Chevaliers (Martin et al., 1951; Bourn et Cottam, 1950; Sperry, 1940;) et certaines espèces d’oiseaux aquatiques, dont le Canard noir, le Grand Héron et le Bihoreau gris, et une diminution importante de sites d’élevage de première importance pour les couvées de Canard noir (Savard, 1974, Reed et Moisan, 1971). L’examen des marelles à marée basse révèle aussi leur importance pour les poissons de la famille des Gasterosteidae qui fraient notamment dans les marelles de la zone à spartine étalée (Dutil et Fortin, 1983). On observe également une perte de sites de frai d’importance pour d’autres espèces de poissons.
Sachant que les aboiteaux courent sur près de 40 km sur la rive sud de l’estuaire maritime, entre La Pocatière et L’Isle-Verte – on y estime à plus de 40 le nombre de canaux de drainage qui traversent les marais à spartines résiduels (Les Consultants en environnement Argus inc., 1998) – on comprend que l’agriculture puisse avoir des impacts non négligeables sur les marais à spartines de cette région.
Création d’ouvertures dans des marais émergents d’eau douce trop fermés
Les données sur les niveaux d’eau du Saint-Laurent durant les 80 dernières années, révèlent des changements cycliques de niveau saisonnier moyen qui varient plus ou moins par rapport au niveau actuel. Certaines périodes ont été marquées par de très bas niveaux d’eau, comme celle de 1957 à 1966, alors que d’autres ont été affectées par de très hauts niveaux, comme celle de 1972 à 1981. Que ce soit en raison des changements climatiques ou d’une modification des modalités de gestion des débits à la sortie des Grands Lacs, il semble évident que nous nous acheminons inéluctablement vers une baisse des niveaux d’eau sur la portion fluviale du Saint-Laurent. Des fluctuations importantes des niveaux d’eau dans le Saint-Laurent ont des impacts majeurs sur l’écosystème fluvial, mais aussi estuarien. Une période de hauts niveaux pendant plusieurs années peut entraîner une dégradation rapide de la végétation ripicole, notamment des arbres, de même qu’une érosion marquée des rives comme cela s’est produit aux îles de la Paix et au marais de Rivière-du-Loup. De plus, de hauts niveaux d’eau favorisent la croissance d’herbiers submergés au détriment de marais émergents. De tels herbiers sont moins recherchés par la sauvagine en période d’élevage des couvées. D’ailleurs, la production de biomasse est trois fois moindre dans ce type de milieux, soit quelque 100 000 tonnes métriques au lieu des 300 000 tonnes métriques produites dans les marais émergents. Qui dit plus faible production de biomasse dit alors un apport moindre de nutriments dans les habitats aquatiques du fleuve et de l’estuaire, et ce, avec toutes les répercussions que cela entraîne pour les différents éléments de la chaîne alimentaire. À l’inverse, les bas niveaux favoriseront le développement d’une végétation émergente plutôt que submergée. Toutefois, le maintien de bas niveaux d’eau pendant plusieurs années peut favoriser le développement de marais peu profonds. Il s’agit de marais colonisés par une végétation émergente très dense, donc peu propice à l’avifaune et à l’ichtyofaune. Par exemple, la création d’ouvertures au sein de ces marais améliorerait de beaucoup la qualité de ceux-ci comme site d’élevage pour les couvées de canards.
Aménagement pour la sauvagine de plans d’eau artificiels existants
La présence de plans d’eau dans un habitat, que ce soit en milieu insulaire, sur la terre ferme ou à l’intérieur même d’un marais, représente un atout dans l’accroissement de la biodiversité locale. De tels plans d’eau permettent souvent, même dans le cas des milieux salés ou saumâtres de l’estuaire maritime du Saint-Laurent, le développement d’une végétation aquatique abondante de grand intérêt pour la faune. Cette végétation sert alors à la fois de support pour les invertébrés, de couvert de fuite contre les prédateurs, de sites d’alimentation et même de reproduction pour plusieurs espèces d’oiseaux ou de poissons. L’attrait de ces plans d’eau s’accroît davantage lorsque que ces derniers abritent des promontoires où l’avifaune peut y effectuer en toute sécurité ses activités de repos. Plusieurs endroits le long du Saint-Laurent, notamment des remblais comme à Cacouna, des marais à spartines comme à Rivière-du-Loup ou des plans d’eau comme ceux à l’intérieur du port de Cacouna, bénéficieraient soit de la création d’étangs ou encore de la mise en place de structures de repos pour la faune ailée.
Plantation de zostère marine
La zone la plus basse dans la portion inférieure des marais à spartines, qui est inondée à toutes les marées, est composée de vase, de fucus et parfois de zostère marine. Cette dernière espèce avait été presque complètement irradiée de son aire de distribution au début des années 1930 par, semble-t-il, un champignon parasite. Elle a maintenant relativement bien récupéré et occupait à elle seule dans les années 1990 des superficies évaluées à près de 6000 hectares répartis entre l’estuaire, le golfe et la péninsule gaspésienne (Lemieux et Lalumière, 1995). Les herbiers de zostère marine les plus imposants se trouvent à L’Isle-Verte, dans l’estuaire maritime (près de 1000 ha), et dans la baie de Cascapédia, dans la baie des Chaleurs (plus de 1600 ha). Cette espèce croît de préférence dans les zones à faibles courants et dans de légères dépressions où l’eau persiste à marée basse. En dépit de sa récupération relativement rapide sur l’ensemble de son aire de distribution, il semblerait que certains endroits présentant toutes les conditions requises pour le développement d’intéressants herbiers à zostère en soient encore complètement dépourvus.
Étant donné la grande valeur de cet habitat pour la faune, des projets de restauration dans le but d’implanter l’espèce aux endroits où elle est encore absente et qui offrent un bon potentiel, sont donc importants. En effet, les herbiers de zostère marine sont reconnus pour jouer un rôle de premier plan tant pour l’ichtyofaune que pour l’avifaune. Ils occupent à cet égard une position stratégique dans le milieu intertidal, soit la portion la plus basse de l’estran qui est exondée à marée basse, mais continuellement inondée à marée haute. Les travaux réalisés à la baie James par Benoit et al., (1992), révèlent d’ailleurs une fréquentation intéressante de ces herbiers par plusieurs espèces de sauvagine en quête de nourriture ou simplement comme site de repos, dont la Bernache cravant, la Bernache du Canada, le Canard noir, le Canard pilet, le Petit Fuligule, le Fuligule milouinan, le Garrot à œil d’or, le Grand Harle, l’Érismature rousse et la Macreuse brune. La présence de nombreux invertébrés dans les zostéraies n’est probablement pas étrangère à cette situation. Des travaux supplémentaires réalisés dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent de même que dans les Maritimes sur les relations entre l’ichtyofaune et les zostéraies, montrent que ces herbiers servent aussi de sites de fraie pour la grosse poule de mer. Ils servent de plus de couvert de fuite et/ou d’alimentation à l’éperlan arc-en-ciel, aux épinoches, aux plies et aux chaboisseaux. De plus, ils pourraient aussi servir d’abri ou d’aire alimentation aux merluches, au poulamon atlantique, au hareng atlantique et à la jeune morue franche (Jean Morisset, Pêches et Océans Canada, comm. pers.).
Végétalisation de berges enrochées
Une étude réalisée par Les Consultants en environnement Argus inc. (1996a), révèle que près de 700 km de rives entre Dundee et Montmagny, l’équivalent de 45 % de l’ensemble des rives de ce tronçon du fleuve, ont été enrochées au cours des dernières décennies. Plus de 50 % de ces berges modifiées par l’homme sont recensées dans le seul tronçon fluvial compris entre Dundee et Boucherville. L’empierrement des berges des cours d’eau constitue une intervention couramment utilisée pour stabiliser les endroits particulièrement exposés et sensibles aux agents d’érosion. Bien qu’efficace, il rend le milieu peu propice à une réimplantation naturelle de la végétation. La nature grossière des matériaux utilisés, combinée au processus d’érosion, empêche la formation d’un substrat favorable à la colonisation par les plantes (Les Consultants en environnement Argus inc., 1998). Ces dernières constituent un des éléments indispensables à la survie de nombreuses espèces de poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles pour qui les milieux riverains naturels constituent des habitats privilégiés.
Végétalisation de milieux dunaires perturbés
Plusieurs milieux dunaires aux îles de la Madeleine se sont détériorés au fil du temps. Même si tous les sites perturbés ne sont pas connus et cartographiés, on reconnaît que plusieurs sites, totalisant approximativement 10 km de rives, présentent de sérieux problèmes d’érosion. Le principal facteur d’érosion, une fois la végétation détruite par les activités anthropiques, est le vent qui provoque à la longue un amaigrissement graduel du système dunaire. Le sable ainsi déplacé peut, dans certaines situations, envahir progressivement les milieux lagunaires adjacents qui sont des habitats de grandes valeurs floristique et faunique. De plus, l’amaigrissement progressif des dunes côtières dû à l’absence de végétation qui normalement les maintien en place, fait en sorte que ces dernières n’accumulent plus assez de sable pour servir de tampon à l’énergie des vagues lors des tempêtes. Leur disparition entraîne ainsi l’inondation des basses terres adjacentes et la contamination possible des nappes souterraines d’eau douce par l’eau salée.
Les dunes servent aussi d’écrans protecteurs à l’ensablement des infrastructures routières, des habitations, des marais, des tourbières et des forêts. En plus de son rôle protecteur, le milieu dunaire présente un grand intérêt écologique. Sorte de poumons du littoral, les dunes recèlent une richesse biologique fascinante. Elles offrent un milieu de vie pour une bonne variété d’espèces animales : insectes, mammifères et oiseaux. Le Renard roux, le plus grand mammifère présent aux îles de la Madeleine, bâtit son terrier dans les dunes. Les milieux dunaires abritent aussi certaines espèces à statut précaire : le corème de Conrad et l’hudsonie tomenteuse, deux espèces végétales, en sont des exemples (Attention FragÎles, 2004).
Plantation d’arbres et d’arbustes dans des espaces verts anthropiques (parcs, haltes routières, pistes cyclables…)
Au fil des ans, plusieurs facteurs ont contribué à la disparition de la bande riveraine dans les parties supérieures des marais tels que les empiétements, la construction domiciliaire, industrielle ou d’infrastructures routières et portuaires, les activités agricoles ou forestières. Il est difficile d’estimer les pertes de milieux riverains imputables à leur modification par l’homme au cours des dernières décennies. Sachons toutefois que près de 50 % des rives entre Cornwall et Montmagny sont maintenant artificialisées, comparativement à 28 % pour l’ensemble des rives du Saint-Laurent (Les Consultants en environnement Argus inc., 1996a; Picard et al., 1997). Les 28 % (1400 km) de rives qui ont subi ces modifications anthropiques le long du Saint-Laurent ont, nul doute, diminué sensiblement sa biodiversité. Près d’une vingtaine de groupements arborés et une dizaine de groupements arbustifs ont, dès lors, été complètement éliminés des secteurs les plus fortement urbanisés. Les populations locales de près d’une soixantaine d’espèces d’oiseaux ont diminuées en abondance ou ont complètement disparues des régions les plus développées. Certaines espèces de poissons, notamment la perchaude qui pond ses œufs en larges rubans qu’elle accroche sur les branches d’arbustes inondés, pourraient avoir particulièrement souffert de la disparition systématique de ce type de couvert aux abords des rives. Une vingtaine d’espèces de mammifères en relation plus ou moins étroite avec les habitats riverains auraient, dans une certaine mesure, pu aussi être touchées par les modifications riveraines. Les habitats riverains perdus de cette façon sont en majorité irrécupérables. Nous pouvons tout au plus axer nos projets de restauration sur des habitats moins dégradés, tels les parcs riverains, les haltes routières, les pistes cyclables…
Plantation d’arbres et d’arbustes en milieux agricoles (haies brise-vent, végétalisation de digues)
Dans les milieux insulaires du tronçon dulcicole du Saint-Laurent compris entre Montréal et le lac Saint-Pierre, au-delà de 40 % des superficies recensées, l’équivalent de quelque 4000 ha répartis sur 25 îles, sont vouées à l’agriculture (Lehoux et al., 2003). C’est principalement dans l’archipel du Lac Saint-Pierre que nous trouvons les plus grandes superficies de terres agricoles avec plus de 70 % de la superficie des îles. En milieu terrestre, les terres agricoles adjacentes au fleuve occupent également de bonnes superficies. On estime, en effet, que 10 % des rives du Saint-Laurent sont cultivées (Picard et al., 1997).
Dans les milieux agricoles, les bandes riveraines sont souvent limitées ou inexistantes, avec toutes les répercussions que cela peut entraîner : diminution de la biodiversité locale, érosion accrue, augmentation de la turbidité et de la contamination des cours d’eau avoisinants. L’azote ammoniacal, les pesticides et certains métaux lourds peuvent avoir des effets toxiques aigus ou chroniques sur les organismes aquatiques. En plus du phosphore provenant de la surfertilisation, les pertes de sol peuvent aussi modifier les habitats par le colmatage des frayères. La contamination du milieu aquatique par les herbicides utilisés, notamment sur les îles cultivées du tronçon Montréal–lac Saint-Pierre, est certainement non négligeable lorsqu’on sait qu’environ 1000 ha de ces terres sont inondées aux deux ans.
Dans l’estuaire du Saint-Laurent environ 35 % des marais à spartines, soit l’équivalent de quelque 1500 ha, ont été endigués à des fins agricoles. Les pertes les plus marquées ont été notées dans les secteurs de Kamouraska et de La Pocatière. L’endiguement des marais à spartines a diminué de beaucoup la biodiversité locale.
Même s’il s’avère impossible de récupérer la majorité des marais à spartines touchés par l’agriculture, on peut tenter de redonner au milieu une certaine biodiversité en végétalisant, à tout le moins, les digues qui ceinturent de nos jours ces terres agricoles.
Contrôle d’espèces végétales envahissantes dans les milieux humides
La composition des milieux humides est fort probablement différente de ce qu’elle était il y a 20 à 30 ans. Le roseau commun (phragmite), le lythrum salicaire, l’aulne rugueux, les typhas à feuilles larges et à feuilles étroites sont des espèces envahissantes qui ont délogé des espèces plus bénéfiques pour la faune. Un inventaire aérien réalisé entre Montréal et la rivière Saint-François (région du lac Saint-Pierre) en 1997 révèle ainsi la présence de la salicaire sur au-delà de 1000 ha et celle du phragmite sur près de 100 ha (Gratton, 1998). Il est difficile de savoir quelles étaient les superficies occupées par de telles espèces au début des années 1980. Une étude réalisée sur la Réserve nationale de faune du cap Tourmente montre cependant qu’entre 1978 et 1994, la salicaire a presque quintuplé sa superficie, ce qui représente un bon indice de son agressivité et révèle qu’elle peut devenir rapidement problématique (Lehoux et al., 1997). On peut essayer de contrôler ces espèces.